Avant que
les prjugs et les institutions humaines aient altr nos penchants naturels,
le bonheur des enfants ainsi que des hommes consiste dans lÕusage de leur
libert; mais cette libert dans les premiers est borne par leur faiblesse.
Quiconque fait ce quÕil veut est heureux, sÕil se suffit lui-mme; cÕest le
cas de lÕhomme vivant dans lÕtat de nature. Quiconque fait ce quÕil veut nÕest
pas heureux, si ses besoins passent ses forces: cÕest le cas de lÕenfant dans
le mme tat. Les enfants ne jouissent mme dans lÕtat de nature que dÕune
libert imparfaite, semblable celle dont jouissent les hommes dans lÕtat
civil. Chacun de nous, ne pouvant plus se passer des autres, redevient cet
gard faible et misrable. Nous tions faits pour tre hommes; les lois et la
socit nous ont replongs dans lÕenfance. Les riches, les grands, les rois
sont tous des enfants qui, voyant quÕon sÕempresse soulager leur misre,
tirent de cela mme une vanit purile, et sont tout fiers des soins quÕon ne
leur rendrait pas sÕils taient hommes faits.
Ces considrations
sont importantes, et servent rsoudre toutes les contradictions du systme
social. Il y a deux sortes de dpendances celle des choses, qui est de la
nature; celle des hommes, qui est de la socit. La dpendance des choses,
nÕayant aucune moralit, ne nuit point la libert, et nÕengendre point de
vices la dpendance des hommes tant dsordonne les engendre tous, et cÕest
par elle que le matre et lÕesclave se dpravent mutuellement. SÕil y a quelque
moyen de remdier ce mal dans la socit, cÕest de substituer la loi
lÕhomme, et dÕarmer les volonts gnrales dÕune force relle, suprieure
lÕaction de toute volont particulire. Si les lois des nations pouvaient
avoir, comme celles de la nature, une inflexibilit que jamais aucune force
humaine ne pt vaincre, la dpendance des hommes redeviendrait alors celle des
choses; on runirait dans la rpublique tous les avantages de lÕtat naturel
ceux de lÕtat civil; on joindrait la libert qui maintient lÕhomme exempt de
vices, la moralit qui lÕlve la vertu.